La Franche-Comté à coeur et écrits
Avec « L’Inconnu du Val d’Enfer », Guy-Louis Anguenot défend la littérature de terroir
Avec L’Inconnu du Val d’Enfer, Guy-Louis Anguenot signe la 10e enquête de son héros récurrent l’adjudant-chef René Marigny, sur une trentaine d’ouvrages parus en 25 ans d’écriture romanesque. Autant de livres qui font la part belle aux coutumes, traditions et expressions comtoises qui ont bercé son enfance à Épeugney, dans le Doubs, et qu’il immortalise au fil des pages.
« Souvent les lecteurs me disent ‘Quand on lit vos livres, on est chez nous’ », savoure Guy-Louis Anguenot entre deux signatures et festivals littéraires où il n’est pas rare de devoir faire la queue pour décrocher sa dédicace, l’auteur estimant à plus de 1 500 ses fidèles, dotés de ses 29 ouvrages écrits en 25 ans. Dernier en date : « L’Inconnu du Val d’Enfer » (éditions Ç Auteur, 216 pages, 20 €), sur fonds de résurgences de la Seconde Guerre mondiale à travers une nouvelle énigme que va devoir élucider l’adjudant-chef Marigny dont c’est ici la 10e aventure. Marigny ? Une sorte de Maigret avec lequel il partage l’adage « Comprendre mais ne pas juger », ainsi qu’un hommage à un gendarme, René Marilly, ami de ses parents : « Un type éminemment sympathique, lorsque j’ai demandé l’autorisation à sa fille, elle s’est montrée en chantée. »
Le tout comme toujours truffé de termes comtois (éclairés par un glossaire) et ancré dans le terroir régional. « Oui, je suis un rural dans l’âme », glisse cet ancien pro fesseur de français puis d’histoire qui a toujours refusé d’enseigner en ville, préférant Quingey, Frasne puis Saint-Vit, près de Grandfonfaine (Doubs) où il demeure, en lisière de labours et de bois.
« Je suis pétri de cette argile comtoise ! », confie-t-il. « J’ai grandi à Épeugney (N.D.L.R. rebaptisée Épines-sur-le-Mont dans ses livres) où mon père était fromager. Et enfant, lorsque je descendais à la coulée du soir pour le voir, j’observais et j’écoutais les gens qui venaient discuter avec lui… », poursuit celui qui, au lycée, excellait en dissertation et versait volontiers dans le romantisme (« bouleversé par Lamartine, Musset et Chateaubriand ») comme en témoignera son ro man Sarah, paru en 2001.
Sa bascule dans l’écriture (« Mé moires comtoises » son premier livre, étant paru en 2000) date d’un geste d’amitié. « J’ai commencé à écrire pour distraire mon ami André Oudet (1942- 1999) lorsqu’il a été contraint de s’aliter pour raisons de santé. J’al lais le voir tous les mercredis et un samedi, alors que j’étais à ma coupe de bois (oui, je suis aussi propriétaire forestier) une idée de nouvelle m’a traversé l’esprit. En rentrant, je l’ai écrite et le mercredi, je la lui ai lue à son chevet. Il en a pleuré d’émotion. Peintre d’exception, André était aussi un ac coucheur d’âmes : il repérait en nous ce qu’on avait de meilleur et nous le révélait à nous-mêmes.
Bref, il nous aidait à grandir. Il m’a incité à continuer, puis à publier… C’est parti comme cela. Et depuis je n’ai jamais arrêté. »
« Le mépris officiel rejaillit aussi sur tous nos lecteurs »
Certains de ses titres ont dépassé les 10 000 exemplaires vendus. Quand les premiers romans chez Gallimard dépassent rarement les 700… Justement ! Dans la lignée des grands aînés comtois que sont André Besson, Bernard Clavel et Marcel Aymé (auxquels il ajoute Claude Michelet qui, en lançant l’école de Brive, a revivifié les romans de terroir) il aime à rappeler, avec l’œil qui frise et non sans gourmandise, que lors que feu André Besson remettait le prix qui porte son nom (et que Guy-Louis Anguenot a lui-même reçu en 2020), il lançait immanquablement : « J’invite maintenant le délégué du Centre régio nal du livre à bien vouloir me rejoindre pour décerner le prix… Personne ? Comme d’habitude ! »
D’où cette page en exergue de « L’Inconnu du Val d’Enfer », où il fustige « ce mépris officiel [qui] re jaillit aussi sur tous nos lecteurs, si nombreux pourtant ». Avant de questionner : « Existe-t-il à vos yeux des sous-lecteurs ? » De même se souvient-il qu’en 2003, où il a reçu le Prix Pergaud, un directeur du CRL avait qualifié les ro mans régionalistes de « littérature de cul de vache », un autre parlant plus tard de « littérature Pétainiste ». « C’est lamentable… », soupire l’auteur.
Pour en revenir à son dernier opus, sur fond de Seconde Guerre mondiale justement ? « Si les gens en 1940 avaient su ce qu’il se pas serait en 1944, ils n’auraient pas forcément eu le même comporte ment. C’est comme jouer un tiercé après l’arrivée des chevaux ! Lorsque je dis cela en conférence, les gens rigolent. Et cela les réconcilie avec l’histoire. Car je pense qu’il faut cesser de juger le passé avec nos lunettes du jour. »
Pierre Laurent